
Ces dernières années, la Crise du Covid-19 puis le conflit russo-ukrainien ont mis en lumière la fragilité de nos systèmes économiques et sociaux. Ces crises mettent la tension des chaînes d’approvisionnement international (ou chaînes d’approvisionnement). Bouleversement à tous les niveaux, renchérissement du coût des matières premières, difficulté à anticiper une demande de plus en plus volatile, complexité et interconnexion des supply chains internationales… Face à cela, le concept de résiliencequi désigne la capacité à faire face aux perturbations, a été largement présenté depuis le début de la crise pandémique.
Une chaîne d’approvisionnement résiliente est capable de continuer à fonctionner efficacement malgré des problèmes de transport ou de matériel en adaptant rapidement ses processus et en utilisant des stratégies de contournement pour maintenir la continuité de ses opérations. Cependant, développer une telle capacité n’est ni facile (par où commencer ?), ni même bon marché pour les entreprises.
Dans le même temps, les crises actuelles ont accru l’attrait de nombreuses entreprises pour les questions de “durabilité sociale” (au-delà de la “durabilité environnementale”), car certaines comprennent que leur succès à long terme dépend de la capacité de notre société à faire face aux problèmes économiques, enjeux sociaux et environnementaux.
Ainsi, ces crises ont mis en évidence la nécessité de créer et de gérer des chaînes d’approvisionnement à la fois plus résistantes et plus durables, capables de faire face à des perturbations inattendues.
Penser aux personnes marginalisées
Dans notre rechercher, nous avons identifié qu’il existe déjà un moyen de développer la résilience et la durabilité sociale de sa chaîne d’approvisionnement, en s’appuyant sur les dépenses qui existent déjà dans les entreprises : il s’agit d’acheter. Les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur secteur d’activité, effectuent tous les achats.
Ces achats peuvent être qualifiés de directs ou indirects. Les achats directs sont les achats par une entreprise de biens et services dont elle a besoin immédiatement pour produire ses produits ou services. Ils peuvent inclure des matières premières, des composants, des équipements et du personnel. Les achats indirects, quant à eux, sont les achats par une entreprise de biens et services dont elle a besoin pour son fonctionnement général, mais qui ne sont pas directement liés à la production de ses produits ou services. Il peut s’agir de fournitures de bureau, de services de nettoyage, d’assurance et de services de télécommunications. Cependant, la façon dont les entreprises dépensent en achats peut contribuer à l’objectif de résistance et de durabilité.
Pour ce faire, ils peuvent mettre en place des choses dites « inclusives ». L’achat inclusif est une approche d’égalité des chances dans les processus d’achat. Cela implique de prendre en compte les besoins et les perspectives de tous les groupes de personnes dans la société, y compris ceux qui sont souvent marginalisés ou victimes de discrimination, lors de la sélection des fournisseurs et des biens ou services à acheter. L’objectif est de veiller à ce que les personnes marginalisées aient des chances égales de participer à l’économie et de profiter des opportunités économiques que le shopping peut offrir. Les achats inclusifs peuvent donc être développés par les achats directs et indirects.
Fin 2020, sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 40 multinationales ont créé une coalition appelée Business for Inclusive Growth (B4IG) pour contribuer à une “reprise inclusive”. L’un des objectifs est de renforcer les pratiques d’achats inclusifs et de les diffuser dans l’écosystème. Par exemple, il est possible, dans les appels d’offres, de réserver des lots à des entreprises ou organismes inclusifs qui emploient des personnes en situation de handicap ou des profils dits “éloignés du travail”.
Il renforce les liens
Les résultats de nos recherches menées pendant la crise du Covid-19 montrent que, grâce aux achats inclusifs, il y a un renforcement drastique des liens entre la société acheteuse et ses fournisseurs pour suivre l’évolution des moyens et si les objectifs d’inclusion sociale sont bien atteint.
Cette proximité des liens permet également, par rebond, l’amplification de quatre capacités de résilience opérationnelle de la supply chain : ce sont la « visibilité », « l’adaptabilité », la « collaboration » et la « solidité financière de l’entreprise ». De plus, les achats inclusifs permettent une capacité dite « d’automatisation » (ou empowerment) qui contribue également à une forme de résilience entre les fournisseurs, et donc tout au long de la supply chain, puisque l’éradication des ruptures en amont évite qu’un effet ricochet ne se produise en aval.
Nous avons concrètement observé ce cercle vertueux entre une multinationale du secteur cosmétique qui a lancé son programme d’achats inclusifs il y a plus de dix ans et ses fournisseurs implantés dans le monde entier. Un responsable des achats durables témoigne :
Je suis très heureux et fier car nous avons augmenté notre impact social malgré la crise, ce qui est un peu une surprise, pour être honnête avec vous. […] parce que nous avons beaucoup travaillé avec des fournisseurs de longue date, nous avons réussi ensemble, en maintenant et même en augmentant notre engagement.
Bien entendu, la multinationale s’appuie sur des piliers solides pour soutenir financièrement ses fournisseurs engagés dans l’inclusion sociale :
Nous avons dit à certains des fournisseurs du programme : “En ce moment, nous n’avons pas besoin de votre produit, il n’y a plus de demande. Nous ne pouvons pas le vendre, donc nous ne l’achetons pas, mais nous compensons.”
Un autre repreneur que nous avons interrogé a souligné l’intérêt d’une telle démarche d’enregistrement du partenariat sur une longue durée :
Nous partageons les meilleures pratiques [avec les fournisseurs] et partagez les vôtres avec nous. Cela contribue à avoir une chaîne d’approvisionnement résiliente.
Ainsi, alors que les recherches montrent que les entreprises disposant de chaînes d’approvisionnement durables sont mieux préparées à faire face aux crises et sont mieux à même d’assurer la continuité de leurs activités, nos travaux montrent que, notamment, du fait de l’achat « inclusif », d’autres entreprises aux moyens plus limités peuvent espère également atteindre. plus de durabilité sociale et de résilience : il s’agit de choisir une manière inclusive de dépenser.
Aujourd’hui, la question devient encore plus cruciale du côté des organisations publiques. En effet, le code des marchés publics exigera que 100% des achats tiennent compte de tels critères. à partir de 2025. Nul doute que pour l’effet de mimétisme, les entreprises privées leur emboîtent le pas…