Valorisation ou dévalorisation du travail ? | L’économie par terre ou sur terre ? | Jean-Marie Harribey

Comme je suis un idiot utile au sens commun de l’expression, je me dis la chose suivante. Parmi les nombreux commentaires entendus le soir de la grande manifestation du 19 janvier 2023 contre la réforme des retraites, certains sont véritablement bluffés par leur bêtise, leur aveuglement ou leur cynisme, on ne sait pas. En voici une qui est de retour depuis plusieurs mois. La réforme des retraites qui repousse l’âge de la retraite et allonge la durée de cotisation opposerait ceux qui revendiquent la valeur du travail et ceux qui veulent éviter ce travail. Et qu’est-ce qui incarnera la valeur de l’œuvre ? Président Macron! Et aussi l’ancien président Sarkozy, entend-on le 19 janvier au soir sur France Inter. On se pince, de peur d’être victime d’une hallucination, mais non, c’est ce qu’on dit.

Si l’on remonte dans le temps, au cours des dernières décennies, il y a eu toutes les grandes réformes liées au marché du travail, au droit du travail, aux conditions de travail, à l’égalité des conditions de travail des femmes et des hommes, aux organes représentatifs des travailleurs, aux allocations de chômage, etc. . orientée vers le bas, et donc vers la dévalorisation du travail.

Rappel : cinq réformes régressives des retraites réalisées dans le passé (seulement deux ont échoué) et une en cours ; deux réformes coup sur coup de l’assurance-chômage, ajoutant les anciennes de 1986 et 2001, et organisant la réduction des droits des chômeurs ; multiples allègements de cotisations sociales patronales, augmentant à chaque fois le seuil salarial au-delà duquel débute l’allègement, puis fusionnant avec le CICE dans le cadre d’un « pacte de responsabilité » ; suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ; suppression du principe dit de faveur en matière d’accords salariaux ; La loi El Khomri soumet les libertés et les droits fondamentaux du travail aux besoins de l’entreprise, étendant la durée journalière de travail possible de 10 à 12 heures, plafonnant les indemnités prud’homales pour licenciement abusif, instaurant le référendum de l’entreprise pour entourer les syndicats, etc.[1]

Lire Aussi :  Dans le Pays de Morlaix, qui sont les lauréats des Carrés 2022 de l’entreprise ? - Morlaix

Pourquoi une telle persistance à toujours décroître ? Sans doute fallait-il apporter un soutien légal et réglementaire à ce qui se passe parallèlement dans les entreprises – surtout les grandes – en matière de gestion des effectifs. Qu’est-ce que le néolibéralisme a méthodiquement organisé depuis un demi-siècle dans ce domaine ? Destruction des collectifs de travail au rythme de la mondialisation, ou dissolution au fur et à mesure des restructurations d’entreprises sous l’influence de la finance, de l’individualisation des conditions de travail, de la précarité des contrats de travail, et pour tenter de faire adhérer les travailleurs au “valeurs d’entreprise”, c’est-à-dire. profit, sous prétexte de responsabilité sociale et environnementale. Comme le dit la sociologue Danièle Linhart : « Humaniser pour mieux capitaliser »[2].

Lire Aussi :  L’économie du Royaume-Uni plonge vers la récession

Ainsi, ceux qui ont “scientifiquement” dévalué le travail, alors que les revenus du capital augmentaient, tandis que les impôts sur le cou des financiers étaient apurés, sont ceux qui déclarent aujourd’hui la soi-disant “valeur du travail”. Louez-la le mieux pour la tuer! Nous reconnaissons que le tour de passe-passe est astucieux. Et nous sommes fâchés que des politiciens soi-disant de gauche rejoignent [3].

Qui n’a pas remarqué qu’Elisabeth Borne a répété, lors de son interview à l’émission “On n’stop pas l’eco”, le 14 janvier 2023, sur France Inter, qu’elle voulait “sauver la répartition système de retraite » qui fonctionne sur la base d’actifs qui paient des cotisations pour les retraités ? Ce fut un refrain pendant près d’une heure. Mais qu’ont apporté toutes les réformes successives des retraites et qu’en sera-t-il si cela réussit ? C’est la lente érosion de ce système de retraite qui a fait que les pensions se sont désalignées de la productivité du travail et des salaires et qui a incité les hauts revenus à souscrire à des plans d’épargne capitalisée ou à une assurance-vie. La dernière en date, la loi “Pacte”, peu avant l’échec de la réforme systémique voulue par le président Macron en 2019, a introduit des dispositions fiscales favorisant l’épargne-retraite. Aujourd’hui en France, le montant exceptionnel de l’épargne retraite est de 300 milliards d’euros pour 3 millions de titulaires. [4]. Et l’encours de l’assurance-vie est de 1808 milliards d’euros [5].

Lire Aussi :  À l'intérieur d'une journée dans ma vie

Mais peut-être que l’important est ailleurs. Dans l’actualité de la classe dirigeante et celle d’un gouvernement qui communique par antiphrases, il y a un message subliminal : la retraite par capitalisation n’est pas une question de répartition, car chacun paie sa retraite. En tout cas, rien n’est plus faux : comme dans le système dit par répartition, les pensions versées par les banques, les compagnies d’assurance ou les fonds de pension proviennent d’un prélèvement sur les fruits du travail des travailleurs. , via les revenus du capital épargné. La principale différence est que les droits sur ce fruit sont différents : individuels en proportion des revenus au lieu de conférer des droits partiellement socialisés qui permettent une certaine redistribution : il y a toujours distribution mais pas dans le sens de la solidarité.

Oh oui! Reconnaître que toute la valeur distribuée dans l’économie vient du travail est impossible pour ceux qui veulent valoriser le travail alors qu’ils s’obstinent à le dévaloriser économiquement et symboliquement, à le dégrader et à le soumettre indéfiniment.

Et ils n’imaginent pas qu’on puisse bouleverser la répartition des revenus au profit du travail, en même temps que les finalités de ce dernier.[6]

Source

Leave a Reply

Your email address will not be published.

Articles Liés

Back to top button